Le fantastique à l’américaine : « La Quatrième Dimension » (« The Twilight Zone », 1959-1964)
« Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais aussi d’esprits. Un voyage dans une contrée sans fin dont les frontières sont notre imagination : un voyage au bout de ténèbres où il n’y a qu’une destination : la quatrième dimension. »
Le point de départ de cette histoire est un scénariste américain plutôt doué (trois Emmy Awards), citoyen engagé et surtout grand fan de récits fantastiques : Rod Serling (1924-1975)
Mais pour un homme comme lui, la période est difficile. Nous sommes en effet dans les années 1950, en pleine Guerre Froide. L’Amérique pratique la chasse au « Rouge » dans une ambiance de paranoïa générale et de censure, ce qui ne plaît pas du tout à notre scénariste qui voudrait parler des sujets qui fâchent. Mais comment faire sans encourir les foudres de ladite censure ? Tout simplement en usant d’un artifice très classique : le camouflage ! Ne pas parler du monde réel et de son actualité, mais d’un « autre monde », d’une « autre réalité ».
D’une autre « dimension », en somme.
C’est ainsi qu’il propose en 1958 à la chaîne CBS le pilote d’une nouvelle série, intitulé « The Time Element » (jamais traduit en français). Il raconte l’histoire d’un homme de 1958 qui croit se réveiller juste avant l’attaque de Pearl Harbor, en 1941. Jusqu’à ce que cela se produise réellement…
L’épisode est très bien reçu, validant le lancement d’une véritable série qui va durer 138 épisodes de 1959 à 1964 : « The Twilight Zone ».
Comment parler d'une série qui est considérée comme l’une des meilleures jamais réalisée ?
Peut-être en commençant par dire du mal de la traduction française de son titre, qui réussit à être à la fois une mauvaise traduction, et une erreur ! Littéralement, « The Twilight Zone » (aucun rapport avec de pseudo-vampires qui brillent au soleil !), c’est la « zone floue », ou « crépusculaire ». Un moment indéterminé et malaisant, entre deux eaux, qu’on peut éventuellement traduire par la « Cinquième dimension », puisque le narrateur emploie lui-même l’expression en version originale.
Mais surtout pas la « quatrième dimension », puisque depuis un certain Albert Einstein, on sait qu’elle correspond au temps…
En-dehors de ce faux-pas typiquement français (encore aujourd’hui, les traductions des titres anglais restent encore trop souvent pathétiques…), toute la série est une pure réussite.
D’abord, il y a les scénarios. Chaque épisode est indépendant des autres, il n’y a aucun lien entre eux. Un épisode peut se passer dans l’Amérique du présent – pardon, dans une Amérique imaginaire qui y ressemble ! – ou sur une planète dans le futur, parler d’anges ou d’extra-terrestres, de poupée maléfique ou de bandits du Far-West. Il s’agit d’histoires fantastiques emmenant le téléspectateur jusqu’à une conclusion toujours surprenante.
Comment ces cinq personnages costumés sont arrivés dans ce puits ? Ce passager dans l’avion est-il fou ? Est-ce une bonne idée pour un meurtrier de devenir immortel ? Que fait ce bandit au Paradis ? Quels dangers derrière les caprices d’un enfant ? Comment servir l’homme… ? (un épisode qui, pour une fois, fonctionne aussi bien en français qu’en anglais !)
Certaines histoires sont drôles, d’autres sont tristes, ou angoissantes, d’autres simplement… différentes.
Le contrat de Rod Serling lui imposait d’écrire 80% des scénarios, il n’en fera que 60%, laissant la plume à d’autres comme les écrivains Richard Matheson (« L’homme qui rétrécit », « Je suis une légende »…), ou Ray Bradbury (« Chroniques martiennes », « Fahrenheit 451 »…) – pour ne citer que les plus connus.
Il faut aussi parler du casting, un véritable catalogue de jeunes acteurs devenus célèbres par la suite, voire des stars : Mickey Rooney, Robert Redford (avant « Butch Cassidy et le Kid »), Leonard Nimoy (avant « Star Trek »), Charles Bronson (avant « Les Sept Mercenaires »), Patrick Macnee (avant « Chapeau Melon et Bottes de Cuir »)… Un casting d'ailleurs très diversifié, une rareté à l’époque, reflétant les convictions progressistes de Rod Serling. Enfants, vieillards, femmes oubliant d’être des potiches (dans « Servir l’homme », c’est la secrétaire qui trouve le piège), voire des Afro-Américains (« Le vœu magique ») ! Osé, dans une Amérique encore ségrégationniste…
Enfin, ce casting serait incomplet sans son créateur, Rod Serling lui-même. En effet, chaque épisode commence par une présentation de l’intrigue par un narrateur, qui conclut à la fin par une morale. Le grand Orson Welles devait assurer ce rôle, mais hélas, il était trop cher… C’est donc Rod Serling lui-même qui se chargea de la tâche, à son corps défendant, car l’homme était extrêmement timide. Il fut donc la voix off de la série, et apparaissait à la fin face caméra pour annoncer le prochain épisode aux téléspectateurs, cigarette à la main, nécessaire pour calmer sa nervosité extrême !
Une apparition sans conséquence avec l'histoire racontée... jusqu'au 36e et dernier épisode de la première saison, « Un monde à soi ». Un écrivain a le pouvoir de faire apparaître tout ce qu’il dicte dans son dictaphone… et de le faire disparaître. A la fin de l’épisode, Rod Serling, nonchalamment assis sur le bord du bureau de l’écrivain, apparaît donc pour livrer la morale de l’histoire… au grand déplaisir de l’écrivain qui le fait alors disparaître !
Ou comment briser magnifiquement le quatrième mur… de la quatrième dimension !
« La Quatrième Dimension » (suite)
Les Français durent patienter six ans pour découvrir la série – et de façon limitée. Douze épisodes furent diffusés en 1965, mais amputées de leur introduction et conclusion avec Rod Serling. Les réactions furent mitigées, le cartésianisme typiquement français ayant manifestement du mal avec ces histoires « insult(ant) le bon sens » (selon la presse de l’époque) !
Il faut attendre près de vingt ans, le 28 mars 1984, pour que TF1 décide de rediffuser la série, avec de nouveaux doublages, les premiers ayant été perdus. 106 épisodes sont diffusés jusqu’au 20 décembre 1986 dans une émission ayant fortement marqué son époque, « Temps X », présentée par les frères Bogdanov.
« Temps X » s’arrête en juin 1987, mais TF1 achète quand même les 138 épisodes qui lui manquaient, et les diffuse entre le 3 octobre 1987 et le 18 mai 1991, dans l’émission « La Une est à vous ».
Le dernier épisode, « The Bewitchin’ pool » (« La piscine ensorcelée »), est diffusé aux Etats-Unis le 19 juin 1964. Mais l’histoire de cette série-culte n’est pas pour autant terminée.
Le dernier épisode, « The Bewitchin’ pool » (« La piscine ensorcelée »), est diffusé aux Etats-Unis le 19 juin 1964. Mais l’histoire de cette série-culte n’est pas pour autant terminée.
Il y a tout d’abord un film du même nom, sorti en 1983 et réalisé par rien de moins que Steven « E.T. » Spielberg, John « The Blues Brothers » Landis, Joe « Gremlins » Dante et George « Mad Max » Miller. Les quatre histoires racontées sont des reprises d’épisodes de la série, et Burgess Meredith joue les narrateurs. Surtout connu pour le rôle de l'entraineur du boxeur Rocky, il avait joué dans 4 épisodes de la série originelle.
Burgess Meredith
Puis une nouvelle série, toujours sous le nom de « The Twilight Zone », ou « The New Twilight Zone », diffusée de 1985 à 1989 aux Etats-Unis sur CBS, puis à partir de 1986 en France. Elle compte deux saisons, pour 65 épisodes. Comme la série passe sur feue la Cinq, elle est donc baptisée… « La Cinquième Dimension » ! Le rôle du narrateur est assuré par Charles Aidman, apparu dans 2 épisodes de la première série, puis par Robin Ward après son décès - aucun des deux n'apparaissant à l'écran.
Charles Aidman
Robin Ward
Rebelote en 2002-2003 sur le réseau UPN, toujours avec le même nom, avec Forrest Whitaker en narrateur, cette fois-ci visible, pour une saison de 44 épisodes. En France, la nouvelle série est diffusée sur 13e Rue, sous le nom de… oui, c’est bien ça : « La Treizième Dimension » ! Misère…
Forrest Whitaker
Enfin, une quatrième version est diffusée depuis cette année aux Etats-Unis sur CBS, et en France sur Canal+, avec Jordan Peele. Le titre français choisit de ne pas choisir, soit « The Twilight Zone : La Quatrième Dimension ». En même temps, Canal+ a toujours été diffusée sur la quatrième chaîne, donc…
Jordan Peele
Pour être complet, il faudrait aussi citer les séries inspirées de celle de Rod Serling, mais il y en a beaucoup trop ! Citons simplement la série britannique « Black Mirror » (diffusée depuis 2011), considérée comme l’une de ses plus dignes héritières.
Puis une nouvelle série, toujours sous le nom de « The Twilight Zone », ou « The New Twilight Zone », diffusée de 1985 à 1989 aux Etats-Unis sur CBS, puis à partir de 1986 en France. Elle compte deux saisons, pour 65 épisodes. Comme la série passe sur feue la Cinq, elle est donc baptisée… « La Cinquième Dimension » ! Le rôle du narrateur est assuré par Charles Aidman, apparu dans 2 épisodes de la première série, puis par Robin Ward après son décès - aucun des deux n'apparaissant à l'écran.
Rebelote en 2002-2003 sur le réseau UPN, toujours avec le même nom, avec Forrest Whitaker en narrateur, cette fois-ci visible, pour une saison de 44 épisodes. En France, la nouvelle série est diffusée sur 13e Rue, sous le nom de… oui, c’est bien ça : « La Treizième Dimension » ! Misère…
Enfin, une quatrième version est diffusée depuis cette année aux Etats-Unis sur CBS, et en France sur Canal+, avec Jordan Peele. Le titre français choisit de ne pas choisir, soit « The Twilight Zone : La Quatrième Dimension ». En même temps, Canal+ a toujours été diffusée sur la quatrième chaîne, donc…
Pour être complet, il faudrait aussi citer les séries inspirées de celle de Rod Serling, mais il y en a beaucoup trop ! Citons simplement la série britannique « Black Mirror » (diffusée depuis 2011), considérée comme l’une de ses plus dignes héritières.