Alan Turing : le précurseur génial de l’informatique
Je propose d’examiner la question suivante : « Les machines peuvent-elles penser ? » Il faudrait commencer par définir les sens des mots « machine » et « penser » (Computing Machinery and Intelligence / A. M. Turing, in Mind – A quarterly Review of Psychology and Philosophy, octobre 1950)
Alan Mathison Turing nait à Londres le 23 juin 1912. Il montre très jeune une intelligence supérieure à la normale, qu’il tourne vers l’étude des mathématiques.
Alan Turing vers 1938 et en 1946 : le cerveau est aussi un sportif accompli, adepte du marathon
En novembre 1936, alors à Cambridge, il publie un article considéré aujourd’hui comme un jalon important de l’histoire de l’informatique :
« On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem »
Il établit que ce qui est calculable est prédictible, et peut donc être décomposé en un nombre fini d’étapes. De ce fait, tout calcul doit pouvoir être réalisé par un appareil dédié à cette tâche, qui peut d’ailleurs être mécanique ou humain. C’est le principe même de l’ordinateur, présenté ici sur un plan théorique, et ce modèle sera plus tard appelé « machine de Turing ».
La guerre qui éclate en 1939 permet à Alan Turing d’ajouter une nouvelle corde à son arc, celle du « héros de guerre ». Il rejoint le site ultra-secret de Bletchley Park, où les services secrets britanniques ont réuni les esprits les plus brillants de l’époque pour « casser » les codes secrets de l’Allemagne nazie. Les nazis utilisent alors une machine de cryptage du nom d’Enigma, réputée « incassable ».
Pour « casser » un code dont on ne sait rien, la méthode la plus simple (et la plus laborieuse) et de tester toutes les combinaisons possibles et d’éliminer celles qui n’ont aucun sens. Or avec Enigma, il existe 159 milliards de MILLIARDS de combinaisons possibles ! Certes, ce nombre est réduit dans les faits grâce au fonctionnement même d’Enigma et des (mauvaises) habitudes des crypteurs allemands, mais cela reste une tâche au-delà des capacités humaines… mais qu’en est-il d’une machine ?
Pour « casser » un code dont on ne sait rien, la méthode la plus simple (et la plus laborieuse) et de tester toutes les combinaisons possibles et d’éliminer celles qui n’ont aucun sens. Or avec Enigma, il existe 159 milliards de MILLIARDS de combinaisons possibles ! Certes, ce nombre est réduit dans les faits grâce au fonctionnement même d’Enigma et des (mauvaises) habitudes des crypteurs allemands, mais cela reste une tâche au-delà des capacités humaines… mais qu’en est-il d’une machine ?
C’est justement là qu’intervient Alan Turing, dont on a vu qu’il avait déjà travaillé sur le sujet. Il passe de la théorie à la pratique en créant une machine à calcul électromécanique et automatisée, véritable proto-ordinateur, pour automatiser les tests et éliminer automatiquement les mauvaises combinaisons. Grâce à cette machine et à l’équipe de Betchley Park, les Britanniques décodent la plupart des messages militaires de l’Allemagne nazie, lisant littéralement au-dessus de leur épaule.
Un modèle de machine Engima (Musée de l'Armée) et la reconstitution par le musée de Betchley Park de la machine créée par Turing
S’il est difficile d’affirmer comme certains que ces travaux ont permis de « raccourcir la guerre de deux ans », il est incontestable que grâce au génie de Turing, les Alliés ont joui d’un avantage stratégique majeur contre l’Allemagne.
Après la guerre, Turing se concentre sur l’informatique alors débutante. C’est dans ce cadre qu’en octobre 1950, il publie un nouvel article majeur :
« Computing Machinery and Intelligence »
dont la première phrase est : « Je propose d’examiner la question suivante : « Les machines peuvent-elles penser ? ».
Alors que l’informatique n’en est qu’à ses débuts et que l’intelligence artificielle n’existe que dans les romans et les films, il propose une expérience destinée à différencier les réponses d’une machine de celle d’un humain, anticipant de plusieurs décennies les débats actuels sur l’IA.
Alors que l’informatique n’en est qu’à ses débuts et que l’intelligence artificielle n’existe que dans les romans et les films, il propose une expérience destinée à différencier les réponses d’une machine de celle d’un humain, anticipant de plusieurs décennies les débats actuels sur l’IA.
Cette expérience est désormais connue comme le « test de Turing ».
A noter que le film Imitation Game de 2014 avec Benedict Cumberbatch dans le rôle d'Alan Turing tire son nom du premier chapitre de cet article.
A noter que le film Imitation Game de 2014 avec Benedict Cumberbatch dans le rôle d'Alan Turing tire son nom du premier chapitre de cet article.
Les dernières années de la vie d’Alan Turing sont tragiques. En 1952, il est condamné pour « indécence manifeste et perversion sexuelle » du fait de sa relation avec un autre homme. Les témoignages de ses anciens collègues de Betchley Park ne l’aident guère, ceux-ci étant toujours tenus au secret sur leurs activités. L’homme qui a si puissamment contribué à la victoire finale contre l’Allemagne nazie doit choisir entre l’emprisonnement et la castration chimique. Il choisit la seconde option, mais le traitement a des effets désastreux non seulement sur son physique mais aussi sur son mental. Il n’est plus que l’ombre de lui-même.
Le 8 juin 1954, Alan Turing est retrouvé mort à son domicile. L’autopsie conclut à un suicide par empoisonnement au cyanure, ingéré par le biais d’une pomme retrouvée croquée à côté du corps – bien que celle-ci n’a jamais été analysée. Précisons qu’à ce jour, il n’existe aucune certitude sur la cause de son décès, Alan Turing n’ayant laissé aucun message.
Ajoutons que, malgré la légende tenace, le logo d’Apple (une pomme croquée) n’est pas un hommage à Alan Turing. Cela a été confirmé à plusieurs reprise par Rob Janoff, le créateur du logo.
Turing était un inconditionnel du film Blanche Neige et les Sept Nains de Walt Disney (1937).
Ceci expliquerait la façon dont il a mis fin à ses jours
Le secret sur les activités de Betchley Park n’a été levé que dans les années 1970, permettant de rendre justice au rôle majeur d’Alan Turing pendant la guerre. A partir de 2009, des pétitions de personnalités scientifiques demandent sa réhabilitation officielle, en vain. Ce n’est que le 24 décembre 2013 que la reine Elizabeth II signe un « acte royal de clémence », la grâce officielle d’Alan Turing, presque 60 ans après sa mort.
Aujourd’hui, Alan Turing est considéré comme l’un des esprits les plus brillants du XXe siècle, un acteur majeur de la Seconde Guerre mondiale, et un pionnier de l’informatique dont la vie fut tristement raccourcie.
Pour en savoir plus :
* Article (en anglais) On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem : https://www.cs.virginia.edu/~robins/Turing_Paper_1936.pdf
* Article (en anglais) Computing Machinery and Intelligence : https://academic.oup.com/mind/article/LIX/236/433/986238?login=false
* Turing / Jean Lassègue. - Belles lettres, 1998 - disponible à l'Apostrophe, 2e étage
* Imitation game / film réalisé par Morten Tyldum. - Studio Canal, 2015 - disponible à l'Apostrophe, espace Musique & Cinéma
* La machine de Turing / Benoît Solès ; mise en scène Tristan Petitgirard, in Avant-Scène Théâtre 1446 (août 2018) - disponible à l'Apostrophe, espace Presse
Pour en savoir plus :
* Article (en anglais) On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem : https://www.cs.virginia.edu/~robins/Turing_Paper_1936.pdf
* Article (en anglais) Computing Machinery and Intelligence : https://academic.oup.com/mind/article/LIX/236/433/986238?login=false
* Turing / Jean Lassègue. - Belles lettres, 1998 - disponible à l'Apostrophe, 2e étage
* Imitation game / film réalisé par Morten Tyldum. - Studio Canal, 2015 - disponible à l'Apostrophe, espace Musique & Cinéma
* La machine de Turing / Benoît Solès ; mise en scène Tristan Petitgirard, in Avant-Scène Théâtre 1446 (août 2018) - disponible à l'Apostrophe, espace Presse
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